Un étudiant français rédige une étude qui analyse la scène esport belge
Bastien Sourmail, étudiant français de 25 ans a récemment remis un travail portant sur l'étude de l'institutionnalisation esportive d'un pays. Il a choisi la Belgique pour le faire et a accepté que nous publions ses recherches.
Bastien Sourmail, 25 ans et Parisien, a donc rédigé ce travail dans le cadre de ses études au XP Campus à Paris. Il a accepté de nous le confier. L'annuaire des structures esport belges publié par Lan-Area il y a quelques mois a contribué à l'aider à y voir clair dans ses recherches.
Nous vous proposons donc cette étude dans sa version originale avec quelques légères corrections de titres et illustrations pour la lisibilité de l'article.
L'étude
Institutionnalisation esportive d'un pays
L’esport est désormais l’activité qui attire le plus de pratiquants et de téléspectateurs dans le monde entier.
Des entreprises, des associations et autres lois se forment autour de ce milieu grandissant aussi bien pour le faire évoluer, le canaliser et aussi le réguler.
L’esport a donc un impact grandissant au sein de la société, que ce soit à travers des aspects économiques, sociaux, démographiques, politiques, montrant des failles juridiques et des atouts qui traversent les barrières de langue, de frontière ou autres pour créer une communauté unie à travers le même média.
Définissons l'esport
"Il s'agit de la pratique compétitive du jeu vidéo, par le biais d’un outil informatique souvent considéré comme un ordinateur ou une console, mais pouvant aussi être pratiqué sur téléphone, tablette, etc. Cette pratique peut se faire seul ou à plusieurs, comme pour les bornes d’arcades et le speedrun, ou bien des jeux d’équipe comme League Of Legends ou Counter-Strike : Global Offensive.
Afin qu’un jeu soit considéré comme esportif, il doit aussi respecter certaines conditions, comme le fait que chaque joueur possède les mêmes chances et la même possibilité. Un jeu “Pay To Win” ou “Pay To Fast” n’est pas considéré comme esportif, car il est possible de payer pour avoir un avantage quelconque, créant un déséquilibre selon l’investissement monétaire du joueur."
Il faut savoir que la définition est encore sujette à débat étant donné que l’esport lui-même reste encore récent, et donc instable.
Aujourd’hui, l’esport est plus que jamais en expansion, grâce à l’aide des entreprises, des structures publiques, ou bien des utilisateurs eux-mêmes créant du contenu.
En 2019, plus de 100 millions de personnes ont assisté au mondial de League Of Legends, pour 98 millions de personnes pour le Superbowl. Et c’était en 1972 que le premier tournoi de jeux vidéo a eu lieu, à Stanford en Californie, sur SpaceWar! Le premier prix était d’un an d’abonnement au magazine Rolling Stone, à l’opposé des sommes d’aujourd’hui, qui atteignent 40 millions de dollars pour le tournoi The International de DOTA 2 en 2021.
Chaque pays agit donc plus ou moins pour mettre en place des processus d’organisation, des institutions gouvernementales ou encore d’organes de gestion qui régulent le fonctionnement de l’esport, car il y a encore plein de vide juridique dû à sa récente apparition.
Chaque pays agit différemment, n’ayant pas les mêmes capacités que son voisin, mais aussi selon ses intérêts, montrant des différences entre des pays développés ou en développement. De plus, ce média est encore sujet aux préjugés et à diverses tensions, en plus d’être en conflit avec les autres médias dit traditionnels.
Le choix de la Belgique, pour aborder ce sujet, m’a paru intéressant, tout d’abord en tant que capitale Européenne, mais aussi pour sa proximité avec la France et d’autres pays avancés sur le sujet de l’esport.
Et pourtant dans une situation grandement différente. Tandis que la France est déjà habituée à l’esport grâce à diverses associations esportives, et divers évènements majeurs comme le tournoi mondial de League Of Legends, la Belgique, qui est pourtant sa voisine, n’en est encore qu’à ses débuts.
En premier lieu, nous nous intéresserons à l’histoire de la Belgique ainsi que l’esport, tout en comparant l’impact l’esport dans son institutionnalisation, à travers ses conflits historiques.
Ensuite, nous verrons comment s’organise l’esport et quels sont les événements marquants sur le marché esportif belge, avec quelques événements marquants.
Et enfin, nous étudierons quels sont les avantages dont profite la Belgique pour s’imposer dans le futur comme la capitale esportive européenne, et comment elle pourrait rattraper son retard.
L’histoire conflictuelle de la Belgique et ses freins au développement de l’esport
La Belgique est un pays d’Europe de l’Ouest étant l’un des six fondateurs de l’Union Européenne et accueille de nombreuses institutions européennes comme le Conseil de l’Union Européenne, la Commission européenne, les Commissions parlementaires, six sessions plénières additionnelles du Parlement européen, ainsi que d’autres organisations internationales comme l’OTAN.
La Belgique, bordée par la France, les Pays-Bas, le Luxembourg et la mer du Nord, et surtout Bruxelles est donc un point névralgique de l’Europe, aussi bien par sa position planétaire, mais aussi par son aspect politique.
Cependant, elle fait face à certains problèmes politiques et gouvernementaux liés à son histoire conflictuelle, qui sont moins fréquents dans d’autres pays.
C’est en 1970 qu’a commencé la scission de la Belgique, date de sa première séparation en deux : La région Flamande et la région Wallonne. De par son histoire et les multiples conquêtes, la Belgique fut toujours séparée par la barrière de langue créant ainsi la première séparation, la région Wallonne parlant français, tandis que les flamands parlant principalement néerlandais.
Cette coupure fut ensuite aggravée en 1989 lorsque la région Bruxelloise a été créée, ajoutant une troisième région. Chacune de ses régions finit par obtenir son propre Conseil ainsi que son propre gouvernement, les poussant à s’isoler les unes des autres. Aujourd’hui, il existe donc trois régions en Belgique, et donc trois langues officielles : l’allemand, le français et le néerlandais. (NDLR : Ceci est partiellement vrai, il manque l'approche des communautés, mais ce n'est pas l'objet de cette étude, l'auteur cherche juste ici à expliquer la complexité de la Belgique )
Cette cassure s’exprime aussi à travers l’esport et sa difficulté à se développer, face à trois communautés qui ne communiquent quasiment pas, et sans aucune structure qui arrive à toutes les fédérer. Chacune de ces régions va pouvoir évoluer au même rythme avec la naissance de nouvelles structures et organisations, mais sans qu’aucune ne se démarque vraiment et n’arrive à toutes les fédérer.
La Belgique reste en plus un pays assez petit, la France étant presque 18 fois plus grande que sa voisine, et 11 fois plus petite que l’Allemagne. Cette taille devient un problème car un territoire plus petit limite aussi le nombre de structures qu’elle pourrait accueillir.
Pour l'instant, la Belgique ne possède pas de grandes entreprises de jeux vidéo pouvant faire office d’atout important, comme pourrait posséder la France avec Ubisoft, Ankama ou Gameloft, les Etats-Unis avec Riot Games, Electronic Arts, et Activision Blizzard, ou encore Tencent Games, Nintendo, et Sony pour les pays asiatiques.
Car ce sont les jeux ainsi que leurs studios qui participent grandement à l’évolution de son esport, les tournois de League Of Legends étant organisés par Riot Games, The International organisé par Valve, les World Cup de Blizzard, et beaucoup d’autres tournois mondiaux.
Elle possède (NDLR : la Belgique ) cependant quelques atouts dans le milieu du jeu vidéo, comme Larian Studios, à l’origine des jeux Divine Divinity, mais surtout du plus connu Divinity : Original Sin en 2014, et Divinity : Original Sin II en 2017.
Malgré l’existence de quelques autres studios, aucun n’est tourné vers l’esport, et donc n’arrive à être un moteur au sein de la Belgique.
Cependant, la Belgique possède une avance sur la majorité des autres pays européens, considérant déjà les jeux vidéo comme des outils pédagogiques, prouvé par le ministère flamand de l’éducation et de la formation qui est devenu le deuxième ministère européen après la Pologne à reconnaître la valeur pédagogique des jeux vidéo à l’école.
Certains enseignants utilisent déjà Assassin’s Creed ou encore Minecraft à travers une boîte à outils appelée “Game.Learn.Grow” afin d’explorer des pays et époques, ou encore de réaliser des constructions virtuelles afin de développer de nouvelles compétences.
La Belgique est donc en train de faciliter l’ouverture du marché à toutes les plateformes, dans l’objectif de s’affirmer comme l’épicentre du jeu vidéo en Europe. C’est pour cette raison qu’elle s’intéresse de près au secteur de jeux sur smartphone ainsi qu’aux jeux sur console portable, afin de leurs faire bénéficier d’innovations et mouvements financiers dans les années à venir, sous l’impulsion des marchés étrangers comme celui de Chine ou d’Inde où une grande partie des consommateurs sont sur téléphone.
Ces actions permettront, sans doute, de créer un terreau fertile au développement futur de l’esport.
Une institutionnalisation lente
A cause de sa séparation en trois régions distinctes, la Belgique fait face à une coupure entre ses acteurs esportifs, qui vont se séparer et ne toucher que ceux de leurs propres régions.
C’est grâce à la réapparition de Lan-Area, qu’il sera possible d’avoir une meilleure idée et visualisation des structures esports belges.
En 2020, la Belgique va profiter de la réapparition de Lan-Area, une ancienne association créée en 2003-2004 par une communauté de joueurs. Cette association connaîtra son apogée entre 2003 et 2010, mais s'est lentement effacée.
Désormais, le nouvel objectif de Lan-Area est de reprendre une place importante au sein de la scène esport belge, en rassemblant les informations autour des événements locaux au sein d’une même plateforme. Que ce soit des évènements en ligne, en LAN, ou sur d’autres plateformes, ils veulent devenir un média central et réunir tout l’esport Belge au même endroit.
Comparable à France Esports, son objectif premier a été de recenser les différentes structures esportives afin de créer un annuaire pour essayer de centraliser la communauté, quelles que soient leurs régions d’origines.
Les quatre acteurs majeurs en Belgique sont : META, Proximus, RTBF iXPé (anciennement Tarmac Gaming) ainsi que la Louvard Game.
META qui monopolise la Flandre, a l’avantage de posséder les droits de diffusion des jeux Riot, et est principalement actif sur la scène CS:GO, étant les organisateurs des Elite Series et de la Belgian League avec Proximus pour League Of Legends. META est aujourd’hui la structure esport la plus importante de la Belgique.
Proximus profite d’être l’opérateur Telecom historique de la Belgique pour être un des acteurs principaux du monde numérique belge. Avec la volonté de faire évoluer la branche esportive au niveau local, Proximus dispose des droits de diffusion de l’ESL pour CS:GO, en plus d’organiser les qualifications ESL belge ainsi que la “Proximus ePro League 21-22” pour FIFA.
RTBF iXPé, autrefois Tarmac Gaming est le pôle média gaming et culture de la RTBF, la Radio-Télévision Belge de la communauté française. C’est une entreprise publique autonome à caractère culturel responsable du service public de la radio et de la télévision pour la Communauté française de Belgique. IXPé organise environs quatre tournois à cashprizes par mois, sur divers jeux. Il organise aussi la Benelux Versus League, sur des jeux de Versus Fighting.
Et enfin la Louvard Game qui est une organisation belge francophone qui organise aussi divers évènements en ligne ou en LAN, et organisant la Charleroi Esport, un tournoi international sur CS:GO.
La Belgique fait donc face à un taux de conversion difficile car malgré un public présent, elle ne possède aucun événement majeur qui permettrait à la communauté de se fédérer. De plus, l’esport en général fait face à un manque de reconnaissance, La Belgique manque donc d’acteurs et de politiques locaux et de lois prenant ce secteur au sérieux, et ayant une volonté et les moyens de le faire grandir plus rapidement.
Le confinement fut un bon point pour l’esport, car 57% du public belge en a regardé pour la première fois en 2020 ou 2021, possédant seulement un taux de pénétration de l’exposition à l’esport de 27%.
En 2021, 12% des 16 à 25 ans sont des consommateurs réguliers de ce type de contenu, pour 19% des internautes de 15 et plus en France.
C’était principalement le public qui était présent et non les joueurs. Le confinement a permis une hausse du nombre de tournois en ligne, mais la demande fut au final assez faible. Simplement car il y a un manque de joueurs professionnels belges, qui s’exportent dans d’autres pays européens pour profiter d’une plus grande stabilité.
Une volonté politique de devenir la capitale de l’esport
Il faut donc qu’il y ait à la fois un socle amateur, semi-pro et professionnel pour pouvoir aider l’esport à grandir au sein d’un pays, en touchant les différentes strates des joueurs.
Il est remarquable de savoir que la Belgique possède déjà divers joueurs ou casteurs autour du monde et présents à l’internationale, pour prendre Sjokz comme exemple qui est à la fois mannequin, journaliste esport et aussi présentatrice. Elle est l'hôtesse du LEC depuis 2013, et d’autres événements depuis 2019 après que son contrat d’exclusivité fut arrêté.
On retrouve aussi des joueurs pros qui sont partis à l’internationale, comme AztraL, considéré comme le prodige belge de Rocket League, qui a rejoint la Karmine Corp il y a peu, après avoir quitté Solary.
On peut aussi retrouver Scream, un joueur pro de Valorant, anciennement sur CS:GO, qui a rejoint la Team Liquid.
Pour League Of Legends, on peut retrouver Nisqy et Bwipo dans la team Fnatic.
En 2021, la Belgian Esport Federation (BESF) est devenue la 27eme fédération sportive à obtenir le soutien de la Loterie Nationale, avec un apport de 50.000€ en 2021. Les objectifs sont multiples mais dans un premier temps, la BESF, en collaboration avec les entités régionales (VESF pour la Flandres, WALBRU pour Wallonie-Bruxelles), visera à :
● Permettre aux joueurs professionnels de se développer localement, obtenir un statut, et faire en sorte qu'ils restent en Belgique
● Protéger les mineurs d'âge par un "jeu responsable" en balisant les organisations d'évènements et en étant un point de contact pour les parents
● Encourager et soutenir les initiatives locales
● Mettre en lumière la recherche sur le sujet au sein des universités du pays
● Fédérer les différentes organisations esport du pays
C’est aussi en 2021 que Bruxelles est devenue le centre européen de l’esport, qui a été choisi pour établir le siège de la Fédération Européenne d’Esport. Ce qui renforce la Belgique dans son processus de devenir la capitale technologique de l’Europe, à travers ses autres démarches.
Cependant, la Belgique manque encore de statut pour les différents nouveaux métiers qui font leurs apparitions, par exemple il n’existe pas de statut de joueur professionnel. Les associations et entreprises doivent donc se tourner vers des contrats déjà existants comme celui d’employé classique ou bien indépendant.
Il n’existe pour l’instant aucune école esport non plus comme XP Campus ou autre, même si certaines possèdent des formations esport au sein du cursus. Par contre, il existe déjà plusieurs associations universitaires d’esport, comme l’AES ULB, qui est l’association esport de l’université libre de Bruxelles et avec quelques équipes esports à son actif.
LAN-AREA recense au moins 7 associations universitaires de Bruxelles, à Mons, Limbourg, ou encore en Flandres.
Cependant, il existe un centre de formation : Activit-E, qui est une association sans but lucratif qui organise des stages et des formations dans le domaine de l’esport. Son objectif est donc de promouvoir les jeux vidéo ainsi que les compétitions.
Parmi les structures qui cherchent à promouvoir l’esport, on retrouve aussi différentes structures politiques comme la fédération belge de l’esport (BESF) ainsi que son camarade VESF, qui est la fédération flamande. Dans une situation similaire, on retrouve la Wallonia Games Association (WALGA) ainsi que la FLEGA qui sont toutes deux des associations qui tentent de soutenir l’écosystème du jeu vidéo tout en assurant la promotion du jeu et de ses diverses utilisations.
Les flamands sont donc les plus actifs dans le milieu de l’esport, mais avec des barrières à l’entrée à cause des différences de langue. Ils se tournent donc vers des compétitions touchant le Benelux, c'est-à-dire la Belgique, les Pays-Bas, et le Luxembourg. Sachant que la participation du Luxembourg est minime.
Dû à un manque de joueurs professionnels, les compétitions qui s’organisent en Belgique visent donc les middle gamer, surtout en Belgique où le manque d’acteur local actif se fait ressentir. A travers la création d'événements de moins grande envergure, afin d'intéresser le public à s’investir au fur et à mesure de l’évolution du marché.(NDLR : L'auteur cherche ici à indiquer que ce sont les petites initiatives répétées au niveau Middle Gamer qui amèneront à un regain d'intérêt pour l'esport belge )
Conclusions
C'est pour ces raisons que le choix de la Belgique m’a paru justifié et intéressant. Ce choix permet de mettre en avant cette dichotomie entre capitale de l’Europe et capitale de l’esport, et pourtant avec un retard sur le marché de l’esport malgré sa position avantageuse.
Elle n’est pourtant pas au même niveau que ses camarades sur le marché de l’esport et sur son institutionnalisation à cause de ses conflits historiques. Il est donc possible d'utiliser l’esport comme prisme pour étudier les différents conflits qui ralentissent le développement et son unification dans divers secteurs.
Avec les capacités fédératrices de l’esport qui brisent les barrières de langues et de frontières à travers le monde au sein d’une même passion, il est possible que d’ici quelques années la scission de la Belgique finisse par disparaître grâce à ce média, tout en lui permettant d’affirmer sa position de capitale de l’esport, et européenne.
Associées à la volonté de la Belgique et de ses acteurs à développer le marché du jeu vidéo et de l’esport, de nombreuses actions se mettent en place afin de faciliter le développement des jeux vidéo, de ses moyens de consommation et de la professionnalisation de ce milieu.
Grâce à ce soutien, il sera plus facile aux diverses organisations et associations de devenir des moteurs dans les actions esportives futures qui auront lieu en Belgique et peut-être dans le monde, tout en attirant aussi bien des entreprises endémiques, mais aussi non-endémiques à participer à son évolution, comme on le voit dans d’autres pays.
Bastien Sourmail
-----------------------
Lan-Area remercie Bastien pour le partage de cette étude, qui résume très bien l'état de l'esport belge à l'heure actuelle. C'est ensemble que nous serons plus forts, nous en sommes convaincus.
Le staff Lan-Area