Un ancien Gamer belge part en Pologne en aide aux réfugiés ukrainiens
Julien "Cuicui" De Lenart, cet ancien joueur semi PRO de la scène CS du début des années 2000 a choisi, sur un coup de tête, de se rendre en Pologne afin d'aider les réfugiés ukrainiens et les bénévoles qui les accueillent. Interview.
Un post Facebook a attiré notre attention récemment. Ce témoignage de Julien De Lenart alias Be-Aware.Cuicui, cet ancien joueur de Counter Strike, qui faisait part de son expérience lors de son départ imprévu vers la Pologne, dans le but d'aider les réfugiés Ukrainiens. ( NDLR : Nous vous partageons l'intégralité de son message en fin de cet article ).
Il a accepté de répondre à nos questions.
Interview
Peux tu te présenter ?
Je m’appelle Julien De Lenart, j’ai 40 ans, je suis originaire de Namur et j’habite aujourd'hui Andenne.
Je suis en couple, j’ai 2 enfants de 14 et 11 ans. J’ai une vie assez simple et je travaille dans un grand magasin d’alimentation. J’aime passer du temps avec ma petite famille. Mes autres passions sont les marchés boursiers et le basket.
Tu es un ancien Gamer c’est ça ?
Oui je suis un ancien gamer, mes jeux favoris étaient Dark Age of Camelot, World of Warcraft et Counter-Strike.
J’ai eu plusieurs Teams sur CS, mais celle où je suis resté le plus longtemps était Be-Aware. (NDLR : Une équipe du top belge créée en 2001 et active jusqu'en 2010 ). J’aimais l’esprit qu’il y régnait, les rencontres, les restaurants, les mini-lans, etc.
A l'époque, je pouvais jouer jusqu'à 10 heures par jour mais, aujourd'hui, les jeux vidéo sont, pour moi, un moyen de décompresser tout en s’amusant.
Maintenant, j’ai passé le relai à mes enfants, j’aime les regarder jouer (xbox, pc). J’espère qu’ils découvriront les sensations et valeurs que j’ai connues comme le challenge, la compétition, le dépassement de soi mais aussi l’esprit de groupe, l’entraide, la cohésion, l’échange avec toute une communauté.
Tu es parti en Pologne pour aider les Ukrainiens qui fuyaient la guerre ainsi que les volontaires qui les accueillaient. Pourquoi avoir eu envie de partir ? Qu’est ce qui t’a poussé à le faire ?
Oui effectivement, je suis parti en tant que volontaire à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine de ma propre initiative, en prenant toutes les informations, vol, moyen de transport, destination finale sur internet.
J’ai voulu m'y rendre parce que l’envie d’aider et d’être utile était forte.
Qu’est ce qui t’a le plus touché/marqué là bas ?
Ce qui m’a marqué là-bas, c'est la mobilisation et l’entraide générale !
Mais aussi la difficulté de voir tout ces gens arriver, sans interruption, avec juste quelques affaires. Se mettre à leur place et imaginer qu’ils ont tout quitté, tout abandonné du jour au lendemain. Discuter avec eux et entendre ce qu’ils ont dû faire pour arriver jusque-là. Voir autant d’enfants tellement courageux. Les larmes dans les yeux des gens pour des toutes petites attentions. Voir que c’était des gens comme moi qui avaient une maison, une bonne situation, un boulot, une famille, des repères, ...
De quoi manquent le + les réfugiés à l’heure actuelle, en dehors d’un toit et de paix évidemment ?
La situation et les stocks évoluent rapidement car il y a énormément d’organisation. Des gens viennent de toute l’Europe spontanément avec leur véhicule pour apporter des dons. Et aussi des gens qui louent des camionnettes et qui parcourent des milliers de km.
Mais de ce que j’ai vu, c’est tout le temps la même chose, des couches pour enfants, des couvertures, des sacs de couchages, de la nourriture et de l’eau. Par contre j’ai visité plusieurs places et il y a assez de vêtements !
Que penses tu de cette guerre justement ? Et ceux que tu as croisé, ils en disent quoi ?
Je ne vais pas vous surprendre en disant que je pense comme tout le monde: que les guerres sont stupides et inutiles.
Je ne parle pas que de l’Ukraine mais également pour tous les autres pays. Il existe d’autres solutions comme le dialogue et la diplomatie. Et malheureusement, c’est la population qui subit les dégâts. De simples gens qui n’ont rien demandé.
Concernant leur avis, c’est une question que je ne leur ai pas posée directement, par respect, mais j’arrivais à comprendre ou voir dans leur visage que bien entendu ils n’en voulaient pas, ils étaient dépités de ce qu’il se passait de façon brutale.
Ce n’est pas une critique mais j’ai ressenti que beaucoup d’entre eux étaient perdus dans leur esprit. Certains n’arrivaient plus à comprendre de simples informations, ils avaient besoin d’être aidés, rassurés, épaulés.
Que penses tu que nos états devraient faire dans cette crise, y a tu déjà pensé ?
Je ne suis pas politicien, ni historien. J’ai juste fait ce qui me semblait juste et qui me parlait. Aider une population qui a besoin d’aide et de soutien. Mais ce que je souhaiterais, c’est de la réactivité et de l’anticipation et pas qu’on soit pris au dépourvu.
Avoir des gens qui pensent plus loin ! Moins de politiques qui parlent mais une politique qui agit intelligemment.
Tu disais sur ton profil Facebook vouloir repartir, quand est ce que tu le fais et pour quelles raisons ?
Oui effectivement, je repars le mardi 15 mars.
J’ai l’impression que ma mission n’est pas finie. Je sais que je peux encore apporter mon aide à mon échelle par de simples choses. J’ai maintenant quelques contacts. J’ai reçu des messages et des appels toute cette semaine même de personnes qui ne me connaissaient pas. Je reçois des informations de l’évolution de la situation sur place concernant l’aide et les volontaires.
As-tu inspiré d’autres personnes de ton entourage ?
Oui, toute cette semaine je me suis senti un peu inactif et j’ai décidé d’écrire sur facebook ce que j’avais vécu pour espérer pouvoir inspirer de nouvelles personnes. Peut-être toucher certaines personnes qui auraient peur ou qui ne sauraient pas quoi faire !
Je suis très heureux car j’ai pu inspirer un ami qui va prendre l’avion avec moi demain ! Cela fera 2 mains de plus ! Il est très content de pouvoir venir aider. Je serais ravi d’avoir d’autres retours qui me disent que, grâce à mon message, j’ai pu les inspirer à leur façon.
Cela t'a coûté cher de partir ?
Pour un billet d’avion de Charleroi vers Cracovie ou Varsovie aller-retour +-80€.
Sur place 0€ de nourriture et de boissons, c’est à disposition pour les ukrainiens et pour les volontaires. Beaucoup de gens aident pour les transports, sinon Flixbus : 6€ pour un trajet de 300 km.
Pour dormir, il y a beaucoup d’aide et de groupes sur les réseaux sociaux ainsi que la générosité polonaise. A mon premier départ, j’avais réservé une nuit d’hôtel sur place (+-40€).
Pour ce départ, je n’ai aucune réservation et aucune information pour mon logement.
Comment ta famille vit elle ceci ?
Ma compagne comprend et me soutient dans mes démarches. (Merci à elle) Concernant les enfants, la séparation est un peu plus dure. Mais ils sont très fiers de leur papa et comprennent très bien le but de ma démarche.
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Le mot de la fin
Nous remercions Julien alias Cuicui d'avoir accepté de répondre à cette interview qui sort un peu du cadre de ce site.
Mais nous souhaitions mettre en avant cette belle initiative et cet altruisme, et aussi montrer à la communauté que le gaming et l'esport plus particulièrement peut amener à aider à forger un esprit collaboratif, ce que Julien nous prouve largement ici.
Nous espérons de tout coeur que la situation en Ukraine se stabilisera très prochainement et apportons tout notre soutien à toutes les personnes qui souffrent de la situation.
Si vous souhaitez poser des questions à Julien, n'hésitez pas à nous envoyer un mail à info@lan-area.be et nous relaierons !
Le staff Lan-Area
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Le post Facebook
Le message original de Julien en Français :
J'ai envie de vous partager mon expérience pour inspirer peut-être certains.
Je reviens de la gare des trains de Przemyśl en Pologne où j'étais volontaire pendant 1 semaine.
Je suis allé là-bas pour apporter mon aide aux Ukrainiens comme je le pouvais.
Je ne pouvais pas rester chez moi en Belgique sans réaction, inactif à regarder la télévision.
Avant de m'y rendre, j'avais des préjugés, des craintes mais aussi des peurs.
C'était ma première fois en Pologne, 1 seule nuit d'hôtel pour 7 jours car tout était complet.
Je ne connaissais rien de ce pays, rien des gens, rien de la langue.
Comment me rendre sur place ?
Comment allais-je communiquer ?
Où allais-je dormir ? Vais-je être utile ?
Beaucoup trop de questions qui auraient pu me faire tout arrêter.
Mon but était plus fort, je savais que si je n'allais pas apporter mon aide je le regretterais.
J'oubliais toutes ces questions sans réponses et ces subtilités par rapport à ce que des personnes étaient en train de vivre.
A mon arrivée en Pologne, j'ai rencontré des personnes bienveillantes qui m'ont aidé et donné des informations. Après quelques heures de bus, je suis arrivé à la gare des trains de Przemyśl.
J'ai vite fait le tour en observant et j'ai décidé d'interpeller une personne qui m'a pris sous son aile. (Thanks Kuba forever <3)
L'organisation sur place était superbe, j'avais l'impression de toujours avoir été là.
L'aide des volontaires se faisait d'une façon spontanée et naturelle avec énormément de générosité et d'amour.
C'était incroyable, je ne voyais pas le temps passer, les heures défilaient à une vitesse folle !
Il n'y avait pas de début et pas de fin. De jour comme de nuit, les gens arrivaient tout le temps.
Oui, très peu de gens parlent Français.
Oui, mon Anglais n'est pas parfait.
Oui, je ne parle pas Ukrainien.
Mais est-ce que cela doit m’arrêter ?
Suis-je inutile ? Non !
J'ai aidé comme je le pouvais en montrant qu'ils n'étaient pas seuls. La barrière de la langue tombe instantanément grâce à de simples actes d’humanité :
Simplement avec des sourires, serrer une personne dans les bras, la réconforter, donner mon téléphone pour passer un appel, donner la main à une personne âgée pour l'aider à marcher, faire rigoler un enfant, lui donner mon téléphone pour regarder un dessin-animé et mettre une chanson inconnue pour moi et chanter...
Je ne m'attendais pas à voir autant de réactions pour de petites attentions :
Des signes de remerciements, des sourires sur leurs visages mais aussi des larmes dans leurs yeux.
Des moments pas toujours faciles à vivre, mais ce n'est rien comparé au déracinement qu'ils subissent.
Sur place également, des volontaires préparent des lits pour leur offrir quelques heures de repos.
Malheureusement, la réalité est là et il n'y a pas assez de places pour tout le monde, certains dorment par terre.
On utilise également des solutions technologiques en installant le clavier ukrainien, en utilisant google traduction ou google map pour les rediriger en Pologne ou d'autres pays.
Les volontaires et la police aident toute la journée à porter les bagages vers les quais en expliquant le trajet.
Beaucoup de personnes viennent de toute l'Europe et attendent pendant de nombreuses heures avec des pancartes qu'on leur a traduit en ukrainien.
Une générosité polonaise spontanée qu'on voit trop rarement en Europe Occidentale, proposant un logement pour les réfugiés mais aussi pour les volontaires.
J'ai vu des mères fortes malgré ce qu'elles traversent ainsi que des enfants courageux qui continuent à jouer, rigoler et dessiner.
Une implication de volontaires incroyables passant des nuits entières à aider ces mères avec leurs enfants ou bébés. (Ania <3, Kasia <3)
Après toute une nuit à aider sans relâche, j'ai vu une volontaire bercer un bébé de 14 jours comme si c'était son propre enfant. (Kasia <3)
Merci aux jeunes volontaires qui font tout pour apporter un peu de magie, de la distribution de peluches, sachets de bonbons, de déguisements Disney pour amuser les enfants, des ballons gonflables.
Merci pour tous les sourires sur les visages d'enfants que vous apportez grâce à vos actes.
Cela nous montre une belle jeunesse qui est impliquée et nous donne plein d'espoir pour le futur.
Et encore tant d'autres choses qui resteront gravées dans ma mémoire.
Merci à toutes les personnes qui font des allers-retours entre les villes et la frontière (xavier)
Merci à toutes les personnes qui préparent et distribuent à manger pendant des heures.
Merci aux services humanitaires pour tout ce qu'ils font (GSCF : médicaments, nourritures, sac de couchage...) Quel honneur d'avoir pu vous aider !
Merci aux services de secours polonais pour les soins apportés sur place.
Merci à toutes les personnes qui viennent sur place avec des dons et offrent leur hospitalité dans toute l'Europe.
Merci aussi à une générosité sans frontières, des personnes avec beaucoup d'amour venus des Etats-Unis (Thank's Matt krol, Aaron allan, Josh Brenits...)
Quel bonheur de ressentir autant d'amour dans tous ces actes !
C'est plus facile qu'on ne le croit !
Il n'y a pas de petites actions, n'hésitez donc pas à apporter de l'aide à votre façon, faire ce que vous pouvez de votre côté, de simples et petites choses peuvent tout changer.
J'ai rencontré tant de bonnes personnes et j'ai vu une grande Pologne !
Vous pouvez être fiers de vous. (thanks Daniel, Waldemar, Em gee...)
Merci à tous les gens que je n'ai pas cité et qui se reconnaîtront dans mes mots.
Avant de partir en Pologne, je pensais apporter mon aide aux autres mais je me rends compte que la personne que j'ai le plus aidé c'est moi !
Merci à vous tous.
Vous n'êtes pas seuls !
Slava Ukraini
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Photo d'illustration de l'article : Katarzyna Szczecińska, bénévole Polonaise, et Julien De Lenart